Aïe caramba, decepcion ! (Carlos, d’Olivier Assayas, partie 1/3)

Publié le par Erwan Desbois

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Où ?

A la maison, sur Canal +, producteur-diffuseur de la chose

Quand ?

Mercredi soir

Avec qui ?

MaFemme

Et alors ?

 

Bien sûr, nous n’en sommes encore qu’au tiers du film, nous autres prolétaires (comment ça, « mais quand même abonnés Canal + » ?) inférieurs aux festivaliers cannois privilégiés qui ont pu en voir la version intégrale d’un seul bloc. Et bien sûr, l’histoire du cinéma possède son lot d’exemples d’œuvres poussives voire rébarbatives dans leur mise en place, qui soudain éclosent et ravissent. Mais la première partie du très attendu Carlos étalé sur 5h30 par Olivier Assayas est, définitivement, une déception. Le traitement en vigueur de la « star » du terrorisme multinational et focalisé sur la cause palestinienne des années 70 fait pour le moment glisser le film du côté de Mesrine, plutôt que de celui de La mort dans la peau ou Munich. Carlos a à chaque instant l’efficacité machinale du premier, mais nulle trace du vertige généré par les deux autres – vertige formel dans La mort dans la peau, dont la mise en scène devient l’exacte transcription du ballet furieux et incessant des corps et des statuts, et moral dans Munich, où les personnages prennent peu à peu conscience de l’ampleur de la faille entre la gravité intrinsèque de leurs crimes et l’insignifiance de ceux-ci sur l’échiquier géopolitique global. Ni le Assayas réalisateur singulier de thrillers imprévisibles (Demonlover, Boarding gate), ni celui fin observateur des lézardes intimes de ses personnages (Clean, L’heure d’été) n’investissent pour l’instant ce récit sur rails. Seul le Assayas exécutant carré et compétent de la commande qui lui a été confiée est aux manettes.

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Carlos est donc « efficace », comme on le dit de n’importe quelle série TV parmi les dizaines produites à la chaîne par Hollywood en oubliant au passage deux choses. Tout d’abord, que cette sacrosainte efficacité est un leurre ; un référent souverain fantoche, un simple moyen nécessaire de cinéma élevé au rang de but suffisant pour que l’œuvre soit considérée comme accomplie sans avoir à se soucier de ce qu’elle dit ou ne dit pas (c’est le cas de Un prophète). Ensuite, plus prosaïquement, qu’elle se paye en dollars – ou en euros, ça marche aussi – au prix fort. Et sur ce point, le budget de quinze millions d’euros de Carlos a beau être important rapporté aux industries cinématographique et télévisuelle françaises, ainsi que la comm’ de Canal + le clame sur tous les toits, il est bien trop faible par rapport au projet qu’il est censé concrétiser. Quand on s’est déjà contraint à n’énoncer qu’une suite de faits non interprétés comme c’est le cas ici, la contrainte supplémentaire de ne pas avoir les moyens d’exposer complètement ces faits devient fatale. Exemple : l’attentat à la grenade du Drugstore Publicis. Le plan où Carlos quitte sa planque en annonçant ce qu’il va faire et celui où il revendique l’attentat depuis un téléphone public sont reliés par des images d’archives, extraites d’un reportage TV de l’époque sur les lieux de l’explosion. Ce n’est pas de l’efficacité, c’est de l’esquive, et la séquence ainsi expédiée n’a aucun impact. Il y en a un certain nombre du même genre, qui ramènent inexorablement Carlos à son rang de produit TV besogneux, qui s’en remet à des intermédiaires pour nous raconter des pans de son intrigue non par dessein mais par impératif.

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L’espoir qui nous reste est qu’une des sources des soucis du film soit le positionnement de son héros dans l’obscurité au cours ce premier acte. Carlos se garde bien d’apparaître au premier plan, de devenir une cible visible pour la DST. Une scène d’interrogatoire d’un de ses contacts fait état de cet anonymat avec succès ; mais toutes les autres scènes ou presque en souffrent, car elles n’ont du coup pas de point d’ancrage autour duquel construire une dramaturgie, un intérêt. La fin de cette invisibilité qui fait suite à la fusillade de la rue Toullier redistribue les cartes du récit. Et la prise d’otage des ministres de l’OPEP à Vienne qui ouvrira le deuxième épisode mardi prochain servira de juge de paix quant à cette nouvelle orientation.

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