Pique-nique à Hanging Rock, de Peter Weir (Australie, 1975)

Publié le par Erwan Desbois

Où ?

Au Grand Action, où le film est ressorti en copie neuve

 

Quand ?

Mardi soir, à 20h

 

Avec qui ?

Ma femme

 

Et alors ?

 

Par rapport aux attentes que j’avais placées dans ce film à force d’échos positifs et de frustrations (un enregistrement sur Arte il y a quelques années, écourté immédiatement après le générique de début par un bug Noos…), la déception est grande à découvrir enfin Pique-nique à Hanging Rock. On peut carrément parler à propos de ce film de déni de cinéma, tant il s'en tient tristement et craintivement à un récit factuel de son intrigue, inspirée d’une histoire vraie empreinte de mystère. Soit trois jeunes filles d'un pensionnat, et une de leurs tutrices qui disparaissent le jour de la Saint-Valentin, au cours d'un pique-nique organisée au pied d'une monumentale et inquiétante formation rocheuse, le Hanging Rock du titre. Une des trois adolescentes sera retrouvée quelques jours plus tard, mais ne se souvenant de rien. La montée du récit jusqu'à la disparition est intrigante et dérangeante – ce qui est bien la moindre des choses. Le réalisateur Peter Weir (L’année de tous les dangers, Master and commander) appuie à dessein le romantisme fleur bleue et la pureté de ses héroïnes à la beauté diaphane, couvertes de tenues blanches ressemblant à des toges de nymphes, par l’utilisation d’une photographie lumineuse, resplendissante et d’un accompagnement musical fragile à la flûte de pan. Le but étant de faire se briser d'autant plus violemment ce romantisme et cette pureté contre l’énergie brute, monumentale, impérieuse qui émane du rocher. Une énergie superbement rendue par un savant mélange de plans désaxés et de sonorités irréelles et inquiétantes, ainsi que par ses effets notables sur l’attitude des jeunes filles : alors qu’elles n’avaient été autorisées qu’à ôter leurs gants blancs pour ce pique-nique, elles en viennent à l’approche du rocher à enlever souliers, bas et (on l'apprendra plus tard) corsets. Elles se dénudent, s'offrent corps et âmes à cette force suprême.

 

Le thème sous-jacent de la perte de virginité et de la rupture symbolique et irréversible que cela représente dans la vie reviendra dans deux autres scènes, vers la fin du film. Tout d’abord en négatif, lorsque prise dans une mélancolie éthylique la directrice du pensionnat se remémore son lieu préféré sur Terre, dans lequel « rien ne change jamais » ; et surtout au cours de la confrontation entre Irma, la survivante du rocher, et ses ex-camarades de classe. La tenue rouge vif d'Irma tranche avec le blanc immuable des autres filles, et la dissemblance entre les deux teintes éclabousse l’écran de toute sa force symbolique. Irma a franchi un cap, que les autres sont encore à des lieux de pouvoir concevoir. Mais ce ne sont là que deux scènes, perdues au milieu d'un scénario plombé par sa platitude et son absence de risque, d'imaginaire. Weir ne nous fait jamais pénétrer au cœur du rocher, de son énigme, de ce monde parallèle indescriptible. Il s'en tient même à bonne distance, en empilant sagement les scènes de recherche des disparues et de vie au quotidien d'autres personnages – dont on se fiche éperdument. Pique-nique à Hanging Rock a la banalité sans relief d’un reportage de journal TV, ou de la page des faits divers du Parisien.

Mais avec un sujet comme celui dont il est question ici, le cinéma doit aspirer à autre chose. Il doit nous prendre par la main et nous guider dans l'ailleurs, « through the looking-glass » pour citer Lewis Carroll, pour la bonne raison que cet art est en mesure de le faire. Or, il est évident à chacune de ces ennuyeuses séquences que Weir n'ose pas nous faire traverser le miroir ; ce qui n’est peut-être pas si étonnant que ça, lorsque l’on pense que le Truman show du même homme repose sur une dynamique inverse, de démystification d'un univers imaginaire et de réinsertion de son héros dans le réel pur et dur. Dans le cas de Pique-nique à Hanging Rock, le fait de graver un tel refus d’imaginaire et de trouble au frontispice du film ôte à ce dernier tout intérêt.

Publié dans navets et déceptions

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